L'Histoire du Couteau du Larzac

On retrouve des traces tangibles du mouton sur les pâturages caussenards à la période du Néolithique (environ 3500 ans avant J.C.) puis du début du peuplement du Rouergue : les hommes qui mettent en valeur les territoires proches des vallées du Cernon et de la Dourbie pratiquent des activités pastorales ; on les considère comme les premiers agriculteurs du Rouergue.

Ils élèvent brebis et chèvres comme le prouvent des vestiges osseux trouvés à la grotte de Sargel (Commune de Saint-Rome-de-Cernon), entre Roquefort et Saint-Affrique ; ils cultivent également la terre, moissonnant de l'orge et du blé. Grâce aux ossements de moutons ils peuvent fabriquer des poinçons, des aiguilles et des lissoirs tandis qu'ils utilisent des couteaux de silex taillé pour accomplir au quotidien certains travaux domestiques.

Pendant l'époque du Bronze (1800 à 700 avant J.-C.), les hommes du causse continuent à utiliser des lames de pierre : le bronze est un métal trop mou pour procurer aux couteaux assez de tranchant et de résistance. Lorsque le fer remplace le bronze (700 à 200 ans avant J.-C.), une révolution technologique permet de façonner le couteau dans une forme proche de la ligne actuelle et grâce à des matériaux qui nous sont familiers. Les archéologues ont découvert que les modèles en vigueur sous les Grecs et les Romains n'étaient pas très différents des nôtres tandis que les Celtes logeaient leurs couteaux dans une gaine ! On observera également que les hommes utilisent leurs couteaux pour couper la nourriture, la piquer et la porter à la bouche. Le double usage a perduré pendant des siècles jusqu'à l'invention des modèles fermants au XVe siècle.

Au Moyen Age, les couteaux des bergers du causse étaient certainement fabriqués de manière artisanale par des forgerons dans des campagnes ou même dans les centres urbains par des couteliers de profession. Les métaux parvenaient alors jusqu'en Rouergue depuis les forges de Lacaune dans l'albigeois et du comté de Foix dans les Pyrénées. Les inventaires du XVe siècle démontrent - d'après le matériel des ateliers - que les modèles étaient équipés de viroles et que les manches étaient façonnés dans du bois de buis et de genévrier. Trois siècles plus tard, au lendemain de la Révolution , Amans-Alexis Monteils signale que les Aveyronnais fabriquent toujours des couteaux mais que des modèles très courants proviennent en grande quantité de Thiers, de Saint Etienne et de Langres grâce à des colporteurs.

Le berger possède toujours un couteau dans sa musette, la poche de son pantalon ou de sa veste. Il l'utilisait autrefois pour fabriquer son fouet en taillant un rejet de genévrier, de frêne ou de buis, qu'il perçait à l'extrémité la plus mince avant d'y passer une longue lanière achetée chez le bourrelier et de le décorer de sculptures ; il l'employait également pour confectionner le bâton dont il ne se séparait jamais, pour casser la croûte en surveillant le troupeau, pour enlever le caillou qui s'était logé dans le sabot d'un animal et qui l'empêchait de marcher correctement. Il avait souvent besoin d'un couteau pour soigner ses bêtes. Lorsqu'un mouton souffrait d'une infection, il perforait son oreille de la pointe de son couteau puis il y introduisait une racine d'hellébore ; il s'y formait un abcès qui guérissait lorsqu'on avait enlevé la racine. Il pouvait également, grâce à son modèle de poche, soulager les brebis météorisées au lendemain des grosses pluies d'orages ou au début du printemps. La météorisation est une indigestion gazeuse qui est très dangereuse pour les ruminants (brebis ou vaches).

Lorsque les remèdes traditionnels ne suffisaient pas et que la situation devenait critique pour l'animal, le berger perçait le flanc gauche avant d'y introduire une canule taillée souvent dans du sureau qui permettait ainsi aux gaz de s'échapper. Grâce au couteau, il pouvait encore fabriquer des éclisses lorsqu'une bête s'était cassées une patte.

On ne saurait oublier que les troupeaux des Cévennes et du Languedoc montaient sur les causses au printemps à travers les chemins de transhumance (les drailles) qu'ils empruntaient déjà au Moyen Age. Leurs bergers, isolés dans les estives pendant des semaines, occupaient leurs veillées à sculpter des objets - boîtes à sel, étuis à couteaux ou manches - mais également les colliers des cloches qu'ils fabriquaient en éclisses de micocoulier ou même de châtaigner.

En ce XXIe siècle, on découvre toujours un couteau parmi les « petits trésors » qu'emportent les derniers bergers lorsque leurs troupeaux s'égaillent à travers l'immensité rocailleuse ; il demeure l'inséparable compagnon de l'homme du Causse, illustrant une tradition millénaire.

 

Daniel CROZES
Ecrivain Historien Aveyronnais

Posted on 14/07/2015 Home, L'Histoire 1681

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